J’aime bien les rappeler. À l’ordre. Ou dans le désordre.
Ces fragments. Ces polaroïds. Éphémères bien sur. Comme tout instantané.
Vivant l’espace du temps. De son existence. Brève, furtive. Ce qu’il en reste aujourd’hui. Comme des cendres à la fin d’un brasier. Comme si ce qui a disparu ne l’est pas vraiment tout à fait. Puisqu’il en demeure des traces. Ce qui semble mort peut ressusciter. Ce qui paraît éteint peut se rallumer. Juste parce qu’on se souvient.
Du bois alimentant le foyer. De la vie fabricant son propre chemin. Les cailloux qu’elle y sème. Pour permettre au Petit Poucet que nous ne cessons d’être de l’emprunter à nouveau. Il n’y pas d’ogre au bout. Il n’y a que nous.
Les nôtres. Les rêves qu’ils nous ont inspirés. Que nous poursuivons. Encore. Et toujours. En revenant sur nos pas. Pour vérifier que nous sommes dans la bonne direction. Celle qu’ils avaient tracée. Nos rêves. Parfois, on s’aperçoit de la dérive. Question d’azimut. Un degré de différence au départ, on se retrouve vite loin. Voire aux antipodes. De ces putains de rêves.
Ils sont pourtant là. Toujours. Sur notre livre de bord. Route à suivre.
Quels que soient les vents. Même enfouis à fond de cale. Dans l’entrepont de notre mémoire. Ils sont là. Indiquant la voie que notre boussole hésitante s’obstine à nous indiquer. Le cul entre hier et demain, le cœur entre deux eaux, la tête à l’envers, la vie à mi-chemin du désir d’être et de la volonté de ne pas avoir été. De ne pas avoir été ailleurs. Qu’à l’endroit où l’on devait se trouver. Pour ne pas risquer de se perdre. De ne plus voir les signes qu’on avait à suivre. Pour y arriver. Si tant est qu’on puisse vraiment. Y parvenir. Au fil des années, ils s’éloignent. Deviennent diffus, vagues, parfois confus. Alors, on s’efforce à les ramener dans notre présent. À les faire revivre comme si notre passé s’écrivait de nouveau chaque jour.
Ils sont une sorte de valise. Rangée dans un coin. Presque oubliée.
Mais pas tout à fait. Elle ne s’ouvre pas sur commande. Elle décide.
Du moment. De l’occasion. De la possibilité. En fonction des circonstances. De notre éventuelle perméabilité. À l’averse qui, de temps en temps, peut nous submerger.
Cette pluie conjuguée au parfait du subjectif. Ce passé décomposé qui refuse son destin inéluctable. De l’oubli. De l’effacement. Qui s’accommode de tous les travestissements dont nous pouvons l’affubler. Même déguisé, on le reconnaît.
Chaque fois qu’il se présente à nous. Les yeux fermés nous les voyons. Les oreilles muettes, nous les entendons. Nous les écoutons. Nous comprenons, soudain, tout ce qu’ils nous racontent.
Parce qu’ils sont bavards. Très bavards. Ils nous parlent de qui nous aurions pu être.
De ce que nous sommes devenus. Parfois.
Ils sont exigeants. Intransigeants. Ils sont persistants. Insistants. Résistants.
À l’épreuve des années, des décennies. De l’horloge qui s’impose à nous tous.
Ils ont aussi vifs qu’à la première heure. Ils ne vieillissent pas.
Ils peuvent même nous aider.
À ralentir le cours du temps. À croire aux illusions qui peuplaient l’avenir. Que nous imaginions. À ces jours futurs que nous espérions.
Fugaces signaux imprimés dans notre inconscient, ils réapparaissent.
Lorsqu’on s’y attend le moins. Ou quand on n’y est pas préparé.
L’effet de surprise est un de leurs atouts. Nous sauter à la gorge, sans prévenir, nous envahir, d’un seul coup. Nous conquérir encore une fois. À travers les idéaux auxquels nous étions attachés. Si attachés. Ligotés. Menottés.
Histoire de nous mettre le nez dans notre caca. De nos errances. De nos compromissions. De nos renoncements. Des aspirations que nous avons enterrées.
Mais aussi des voies que nous avons ouvertes. Sans savoir qu’elles existeraient. Simplement à cause de cette capacité incroyable.
De faire fi des serments. Que nous nous étions prêtés.
Croix de bois, croix de fer. Quand la vie va à l’enfer… Ou de l’envers à l’envie…
Quoi qu’il en soit, ils nous habitent. Ils nous hantent.
Pas des fantômes. Davantage des stigmates.
De notre conscience.
Ancienne.
Pourtant si actuelle.
Ils sont les fondations.
Ces rêves à la con.
Ces souvenirs obstinés.
Ils nous façonnent.
Nous (re)construisent.
Contre les vents du temps qui passe.
Et les marées qui grignotent nos grèves.
Qui cherchent à nous amputer.
Ils me démontrent à quel point je suis vivant.
Encore.
Oui, ils me rassemblent.
Me remembrent.
Re-member…
« Nos souvenirs sont ce que nous en faisons. Des photos jaunies dans un album oublié. Ou un cadre ne demandant qu’à être rempli… »
Léo Myself
Palais sur Garonne, le 12 juillet 2019