Ce ne sont pas des amis. Non. Plutôt des potes. Je ne saurais vraiment dire pourquoi depuis le début de l’année on se voit davantage. Bien davantage. Je me sens bien avec eux. Jack et Daniel. Leur présence m’est agréable. Plus que leur conversation, j’avoue. Ils sont américains et leur français reste plus que rudimentaire. L’un deux a pourtant, me semble-t-il, de lointaines racines hexagonales par le biais de la Louisiane. Très lointaines alors… Quant à mon anglais, il est perdu dans le fin fond de mes carnets scolaires !…
Le plus étonnant, c’est qu’à force de passer des moments ensemble, au fil de nos rencontres, on se comprend de mieux en mieux. Moi en tout cas. Ce n’est d’ailleurs pas tout à fait exact. Pour être précis, je crois que c’est moi qui me comprends de mieux en mieux. C’est-à-dire que je me sens plus clairvoyant. Pour un presbyte, c’est déjà pas mal. Pour un presqu’aveugle du subconscient, c’est inespéré. Pour un amputé du côté limbique, ça tient quasiment du miracle ! Comme quoi, que l’on soit croyant ou non, on peut néanmoins y croire. Au miracle.
Oui, en leur compagnie et plus la nuit avance, tout devient limpide. Évident. Incontestable. La sensation étrange d’être le spectateur privilégié de ma vie. De voir très distinctement. De savoir très nettement. Où j’en suis. De ma vie.
Ensuite, les souvenirs de nos fins de soirées restent généralement flous. Très flous. Je me rappelle juste cet éclair (…) de lucidité. D’extra-lucidité, presque. C’est ce que je me dis : « voilà une bonne chose, savoir où tu en es ». Et aussitôt, je réalise que ça m’est égal. Tant que je ne sais pas où je vais. Pas où je voudrais aller. Non. Là où je vais vraiment finir par arriver. Parfois, dans mes rares songes (je rêve peu actuellement), je crois voir. Où je suis. Plus tard.
Mais une ombre me retient.
Plus qu’une ombre. Une présence. Encore très vivante…
Je me réveille systématiquement à cet instant.
L’esprit un peu embrouillé. Le cœur battant la chamade.
C’est également dans les minutes suivantes que je prends la résolution de plus les revoir. Bien que je n’ai jamais été contrôlé en excès d’ivresse.
Un coup à se faire sucrer son permis de conclure. Encore que, à quoi me sert-il ? Visiblement, ce n’est pas mon fort. Conclure. Dans tous les sens du terme.
Mais j’ai décidé de décider. De conclure. De ne plus les fréquenter.
Allez mes potes, un dernier verre. Pour la route ?
D’accord.
Mais quelle route ?….
« Contrairement aux idées reçues, l’ivresse ne conduit pas toujours à l’oubli. Elle donne, plus souvent, une vision précise d’où nous sommes. Le tout, c’est de s’en souvenir. Le lendemain. Et encore… »
Léo Myself