C’est arrivé hier. En fin de journée. Tous les soirs c’est pareil.
Elle est tombée.
Pas un gadin magistral. Plus un glissement soyeux. Maîtrisé. Une façon de pointer son museau. D’apparaître. Sur la pointe des pieds. Sans coup d’éclat. Une manière de se glisser dans notre quotidien. Avec élégance. Discrétion. Et détermination.
Elle est tombée. C’est ainsi que disent les gens.
Aucun bruit pour nous alerter. Nous le confirmer. Généralement, une chute, ça s’entend. Pas là. À tel point qu’elle pourrait passer inaperçue. C’est pourtant le contraire.
Curieux, cette manie. D’évoquer l’absence de l’un par l’arrivée de l’autre.
Tombée. Comme si elle nous dégringolait sur la gueule.
Elle y met les formes. Elle prend son temps. Surtout à certaines époques. De l’année. Moins à d’autres. En ce moment, elle y va en douceur. S’introduit avec précaution. Dans nos débuts de soirées. Comme pour nous prévenir. Sans nous brusquer. Afin qu’on se prépare. À sa présence. À son intrusion. Qui chasse celui qui la précède.
C’est vrai, ils le font régulièrement. L’une tombe. L’autre se lève. Jamais l’un sans l’autre. Jamais les deux ensemble. Ils se succèdent dans ce jeu. D’ombre. Et de lumière.
Parfaits partenaires d’une même pièce. Chaque jour recommencée. Sans relâche.
Elle est tombée. La nuit.
Je me demande encore. Pourquoi. La nuit tombe. Pourquoi le jour se lève. Et pas l’inverse. Après tout. Quand la nuit nous quitte, on ne dit rien. On ne parle que de la suite. Une fois qu’elle est partie. Prendre un repos. Bien mérité. Parce que la nuit, elle bosse, la nuit. Uniquement. Un rythme qu’il faut supporter.
Elle tourne les talons. Pas un mot. Pas un regard. De notre part. On n’a d’yeux que pour son frère siamois. Avec son air de dire « s’il y a moi, il n’y a plus toi ».
Je l’imagine. La nuit. Rentrant dans ses pénates. Faisant grise mine. À l’idée de ce qui la guette. Quelques heures plus tard. Tomber, à nouveau. Sans jamais se lever.
Domaine réservé. Au côté diurne. De nos journées.
Elle, c’est le côté obscur. Qui reste son royaume.
Tomber. Se lever.
Le jour ne se casse jamais la gueule.
La nuit, le fait sans cesse.
Alors qu’on lui doit.
Nos plus belles étreintes.
Nos fêtes les plus inoubliables.
Nos rêves de liberté.
La liberté de rêver.
Lui nous réserve son lot.
De sommeil inachevé.
De problèmes à résoudre.
De tant de soumissions.
De minutes interminables.
Qui nous paraissent des heures.
À force, on n’espère plus rien d’autre.
Que la nuit vienne.
Le remplacer.
Sans tomber.
Pour nous faire sombrer.
Dans l’abîme de nos songes.
Avant de devoir.
À nouveau.
Se lever.
Jusqu’à la nuit.
Suivante.
« Tomber ou se lever. Être libre de chuter me semble plus important. Que l’obligation de s’ériger. La chute impose de se relever. L’autre nécessite seulement de rester sur place. »
Léo Myself