Être là, le voir passer. Accouchant de son lot d’inconnus. Ou les ingurgitant.
L’idée me prend, d’imaginer leur existence.
Que font-ils ? D’où viennent-ils ? Où vont-ils ? À quoi pensent-ils ? Que veulent-ils ?
Je leur invente des histoires. Purement subjectives. Leurs têtes. Leurs allures. Leurs airs. Sont les seules sources de mon inspiration. Parfois, certains se distinguent. Attirent mon attention plus que d’autres. Un regard différent. Une mine réjouie. Ou mélancolique. Des pleurs ou leurs traces. Une vie intérieure qui transparaît. Un peu.
J’en fais les héros d’aventures impossibles. De trajectoires improbables. J’y mets un peu de moi, évidemment. Je me glisse dans leur peau. Si discrètement. Qu’ils ne peuvent s’en douter.
Je m’en délecte. Ils n’en sauront jamais rien. Moi-même, demain, j’aurai peut-être oublié. Ces destins factices dont je les ai affublés. Pour le fun. Mais je reste convaincu que les vies que j’ai rêvé pour eux ne me laissent pas intact. C’est une sorte de voyage. Immobile. Planté là, sur mon banc, observant, guettant celle ou celui qui va me faire partir. Vers je ne sais où. Je les accompagne si peu de temps. Le temps de me faire un film. De ce que je vois, de ce que je perçois d’eux. Superficiel, certes, mais tellement jouissif. L’impression de jouer aux dieux, de leur dessiner un parcours. Caché à leurs yeux, qui ne changera rien à leur vie. Qui touche un peu la mienne, néanmoins.
Je réalise, qu’à travers cette démarche, c’est un peu ma route dont je modifie le cours. En fait, je teste différents scénarii. De ce que les jours, les mois à venir peuvent me réserver. C’est pratique. Je ne me sens pas impliqué, puisque je ne suis pas le(s) personnage(s) de ces romans de gare. Sortis tout droit de mes fantasmes, des circonvolutions de mes synapses auxquels j’octroie une liberté totale.
Il y a pourtant une trame. Souvent la même. Une histoire qui débute cahin-caha, se poursuit bon an mal an, bugne sur un obstacle, se ratatine, reprend ses esprits et s’engage sur une autre voie. Mais continue son chemin.
La trame est déterminante. Qu’il s’agisse de textile, d’imprimerie, de dessin, d’informatique, de vidéo, de spectacle vivant, d’urbanisme ou de littérature, la trame est invisible au premier regard. Elle n’en demeure pas moins l’évidente colonne vertébrale de ce qui finit par nous sauter aux yeux…
Je suis là, le regardant passer.
Il arrive, il repart.
La rame suivante ne va pas tarder.
Je serai encore là.
M’imprégnant des rôles que je leur fait jouer.
À tous ces gens.
Qui descendent. Qui montent.
Qui vont et viennent.
Dans un étrange sur-place.
Alors qu’à cet arrêt du tram,
Je m’évade en permanence,
Des vies que je leur écris.
Des histoires que je leur donne.
Je suis à l’arrêt.
C’est vrai.
C’est leur point d’arrivée.
Mais c’est mon point de départ.
« On peut toujours décider de partir. Sans savoir où arriver. Parce que l’objectif compte sans doute moins que le chemin parcouru. »
Léo Myself