Ça ne file pas. Entre les doigts. Comme le temps qui passe. Au contraire.
S’insinuant partout, envahissant tout l’espace. Ne laissant aucune place. À quoi que ce soit d’autre. Au début, chaque grain s’insinue dans le moindre interstice. Tortille du cul pour se caser dans un coin. Aussi infime soit-il. Au début, c’est insensible. Discret, progressant par de légers glissements. Tellement imperceptibles. Comme une ouate. Qui enveloppe de sa tiédeur. Il y a un côté douillet. Confortable, presque.
Bien sûr, il y a ses petits cris. Des crissements, plutôt.
La friction précède toujours l’affection, semble-t-il. Pour mieux la suivre, ensuite. Paraît-il. N’empêche, peu à peu, on y est jusqu’au cou.
Mais avant cela, il y a forcément une porte d’entrée ?… Une partie de nous-mêmes. Par où commencer. Le nez ? Un parfum, fugace d’abord. Puis persistant. Jusqu’à s’inscrire profondément. Dans la moindre de nos inspirations. Les oreilles ? Un soupir, un éclat de rire qui m’imprègnent jusqu’à la moelle. Si vite reconnus. Comme s’ils étaient les seuls. La bouche ? Tatouée au goût de ses lèvres, imprimée de cette saveur unique. Identifiable entre des millions. Complice de sa langue agile. Furieuse et délicate. Les yeux ? Les miens ou les siens ? Se noyant les uns dans les autres. Hypnotiques. Bleus. En amande. Malicieux. Ou perçants. Selon les instants. Gravés à tout jamais. Dans ces images qui tournent en boucle. Sur mon magnéto intérieur.
Tout est déjà dedans. En moi. Quoi que je fasse. Quoi que je veuille. J’y suis jusqu’au cou. Je m’y enfonce. Je m’y perds. Sans crainte. Je devrais peut-être. Pourtant.
Mais, plus je me débats, moins je fais surface. Plus je m’agite, moins je remonte. Cette pente. Douce. Ou pas. Qui m’entraîne. Mais ne m’éloigne pas.
Empli depuis longtemps, j’attends. L’asphyxie. J’espère. La respiration salvatrice.
Je suis en apnée. Lui permettant. D’accomplir son œuvre.
Pollen d’illusions, escarbille de possibles, poussière d’espérance, il ne m’a laissé aucune chance. De lui échapper.
J’en suis heureux. Je suis son captif. Sans envie d’évasion.
J’y suis bien. Si bien. Douillet. C’est exactement ça. Pas confortable. Mais douillet.
Quand il ne m’écorche pas. Il m’épouse. M’enrobe. Me préserve de l’oubli.
Il sert aussi à faire du ciment. Un ciment solide. Contre les fuites. Des sentiments. Contre la vie sans envie.
Il continue à s’infiltrer. Je suis autant lui qu’il est moi. Me rappelant sans cesse.
Qu’il n’est pas. Le temps qui passe.
Ce temps qui joue la machine à laver.
À délaver. Les couleurs. Qu’elle met dans mon ciel.
C’est pourquoi je le laisse.
Faire.
Ce sable.
Ce sable qui m’engloutit.
Ce sable qui me dit et me dit encore.
À quel point je dois avoir un grain.
Un grain.
Un grain de sable.
De sable émouvant.
« Qu’est-ce qu’on est beaux ensemble… Sommes-nous beaux parce que nous sommes ensemble, ou ensemble parce que nous sommes beaux ? Nous le saurons, peut-être. Lorsque nous serons du sable. »
Léo Myself